Procès des attentats, trentième jour : le rideau s’est levé
30e jour. Interrogatoire de Nezar Mickaël Pastor Altawik. Son ex-femme salafiste vend la mèche.

Image d'illustration : capture d'écran | Par François Boucq. | charliehebdo.fr
Par : YANNICK HAENEL et FRANÇOIS BOUCQ | charliehebdo.fr
Il s’est passé, hier, quelque chose de décisif. Alors que depuis presque un mois et demi la question religieuse était systématiquement minorée, voire dissimulée par des accusés qui savent que dans un dossier de terrorisme leur appartenance à la foi musulmane sera interrogée, qu’on leur reprochera l’éventualité même d’être rigoriste, qu’on les soupçonnera d’être des intégristes, voire carrément des jihadistes, et qu’en se justifiant ils risqueront à chaque instant de donner ces signes de radicalisation que la cour cherche en eux, voici que Nezar Mickaël Pastor Altawik a raconté d’emblée qu’en prison, à Villepinte, il s’était « inscrit au culte » et qu’avec Amedy Coulibaly, son camarade à la buanderie, ils se faisaient des « challenges de sourates », Coulibaly exhortant Pastor à apprendre par cœur des fragments du Coran : « C’est lui, dit-il, qui donnait les challenges. Je suis musulman, j’essaie d’apprendre. »
Une telle stratégie de la sincérité a d’abord été payante. Durant toute la matinée, Pastor Altawik a déroulé son jeu, consistant à ne pas masquer sa proximité avec Coulibaly. Ainsi a-t-il raconté les vidéos de propagande que celui-ci lui montrait en faisant l’éloge de la charia : « Je n’ai pas vu le mal, avoue-t-il : à l’époque, tout le monde parlait de combattre Bachar en Syrie. »
Une fois sortis de prison, ils continuent à se voir : « C’était mon ami », dit-il de Coulibaly. Et de fait, on a pu constater par la téléphonie que Pastor Alwatik était l’un des trois « interlocuteurs privilégiés » de l’auteur du massacre de l’Hyper Cacher : s’il encourt vingt ans de réclusion criminelle, c’est parce qu’on lui reproche d’avoir acquis, stocké et fourni des armes à Coulibaly, un pistolet semi-automatique Tokarev et un revolver Nagant qui ont été découverts dans l’appartement de celui-ci, et sur lesquels on a retrouvé son ADN.
Comme il n’a cessé, pendant sa garde à vue, puis durant l’instruction, et encore hier pendant l’audience, de changer de version dans la narration des faits, ce qu’il raconte des trois journées précédant les attentats paraît aussi embrouillé que suspect. On sait que le 5 janvier, il a passé plus de cinq heures en voiture avec Coulibaly, parcourant la région parisienne d’un rendez-vous à un autre, Coulibaly rencontrant alors tous ses interlocuteurs logistiques : Polat, Ramdani et Prévost, comme si ce jour-là se concluaient les préparatifs des attentats. De fait, tandis que la voiture est à l’arrêt sur le parking d’un centre commercial, Pastor découvre dans le coffre un sac rempli d’armes. Il les touche, ainsi explique-t-il la trace de son ADN. Il aurait alors choisi de ne rien dire à Coulibaly : il aurait eu peur.
Il y a toutes sortes d’incohérences dans son récit. Une histoire de sophrologue à dormir debout qui vise à maquiller ses allées et venues. Une accumulation de mensonges qui se retournent contre lui, une Clio qui disparaît, une parka aussi, un ordinateur où Coulibaly avait peut-être branché une clef USB et qu’il vend au frère d’un garagiste, tout de suite après avoir vu les attentats à la télévision. Il se débarrasse de tout : « C’est la peur, dit-il. Je suis une merde ».
Le mot « merde », il ne cesse de le répéter. Parlant des mensonges qu’il se met à tisser lors de ses auditions, il dit : « Je me suis mis à raconter de la merde ». D’autres signifiants circulent comme des lapsus en liberté : juste après les attentats, un type, sur une écoute téléphonique, l’appelle : « Mon frère Charlie », et ajoute : « al-Dawla », qui signifie État islamique. Le mot flotte dans son environnement, comme un poison, comme un virus. Pastor, lui, parle d’ « abîme » : « J’étais dans les abîmes », dit-il.
Et de fait, la détresse de Pastor semble s’élargir à mesure qu’il parle, comme si, en modifiant sans cesse son propos, il ne faisait que creuser son propre vide, ce trou entre « la merde » et « l’abîme », dans lequel sa vie depuis plusieurs années ne fait que sombrer.
C’est effrayant de voir quelqu’un sombrer. Les yeux perdus de Pastor Alwatik sont une image de la noyade, quelque chose de suicidaire traverse son marasme : « J’ai raconté beaucoup d’inepties et celui qui en paiera les conséquences, c’est moi. De toute façon, ma vie est foutue », dit-il…
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