Géopolitique : Comment la Turquie profite des faiblesses européennes pour étendre son influence
La Turquie veut renouer avec un passé impérial dont l’islam serait la colonne dirimante. Les rodomontades inquiétantes du néo-ottoman rappellent que la Turquie n’a jamais cessé d’être, de Lépante aux Dardanelles, notre adversaire. En avertissant Emmanuel Macron qu’il ne devait « pas chercher querelle à la Turquie », Erdogan ne fait que réactualiser cette invariance. Et d’avertir le président français, « vous n’avez pas fini d’avoir des ennuis avec moi ». En effet, ils ne font que commencer.

Image d'illustration : Le président turc Erdogan profite de l’incapacité des Européens à lui opposer un front uni pour étendre son influence. Photo © MUSTAFA KAMACI / ANADOLU AGENCY / ANADOLU AGENCY VIA AFP
Par : Jean-Marc Albert | valeursactuelles.com
L’Orient est redevenu, selon le mot braudélien, « le cœur dangereux du monde ». Dans la longue histoire des conflits qui l’ont opposée aux assauts venus des steppes anatoliennes, l’Europe a pris conscience de sa singularité. Mais alors qu’à Marathon, à Mohacs, à Lépante ou à Missolonghi, elle éprouvait l’irréductible altérité de son assaillant, des puissances occidentales ont cru habile de constituer des alliances de circonstances avec la Turquie. Ces stratégies de revers, sans effet occurrent, ont pris le risque de favoriser l’expansion turque au détriment de l’Europe chrétienne. En se présentant opportunément comme le défenseur de l’islam et l’héritier de la gloire ottomane, Erdogan profite de nouveau des divisions de l’Union européenne pour assouvir son rêve de restauration califale. Cent ans exactement après l’affront du traité de Sèvres qui devait restaurer la Grande Arménie et instaurer un Kurdistan indépendant, Erdogan croit tenir sa « revanche » sur l’Occident. Il ne s’agit pas tant d’une résurgence du kémalisme que son dépassement par un expansionnisme dont l’islamisme est le moteur. Le dirigeant turc veut conjurer le déclin de « l’homme malade de l’Europe » en refermant la parenthèse du XXe siècle. Chateaubriand appelait déjà à nous prémunir plutôt qu’à nous prévaloir de relations trop ingénues avec la Turquie : « prétendre civiliser la Turquie (…), ce n’est pas étendre la civilisation en Orient, c’est introduire la barbarie en Occident. »
Louis XV s’enorgueillit d’être proclamé « protecteur des chrétiens d’Orient », il ne peut empêcher leurs persécutions
Pourtant, au nom d’une inclination confinant à l’atavisme et remontant à l’alliance contractée par François 1er, la diplomatie française préfère relire l’auteur des Lettres persanes que celui des Mémoires d’outre-tombe pour appréhender la Sublime Porte. Obsédé par le Milanais, vexé d’avoir perdu à Pavie, le Valois ne conspire avec Soliman que pour desserrer l’étau de Charles Quint. Avec les Turcs, les Français pillent Nice et s’en prennent à la Corse. Cette relation contre-nature trouve ses clercs, comme Du Bellay et Montluc, repris par des historiens contemporains comme Lucette Valensi ou Robert Mantran, qui veut y voit une société pacifique, refuge des opprimés. D’autres études, moins militantes, s’inquiètent des pratiques de tortures à la cour du sultan, du rejet de l’imprimerie jugée hérétique jusqu'au XIXe siècle et de la circonscription des savoirs à la sphère exclusivement islamique. Peu importe, Louis XIV vante l’exotisme ottoman, noue des capitulations assorties d’échanges de marchands et de savants et va jusqu’à souhaiter la victoire turque à Vienne en 1683. Louis XV joue encore la carte de « l’Émir des croyants » contre la Russie. Avec quel résultat ? Le Capétien s’enorgueillit d’avoir la primauté protocolaire à la cour du sultan et d’être proclamé « protecteur des chrétiens d’Orient », il ne peut empêcher ni leurs persécutions, ni les attaques barbaresques contre ses navires provoquant l’enlèvement de milliers de captifs.
Ces gains dérisoires profitent surtout au Grand Turc qui peut s’appuyer sur les renégats nombreux à s’engager contre les Chrétiens. En 1453, l’indifférence occidentale précipite la mise à sac de Constantinople, faisant passer l’Anatolie byzantine de la Croix au Croissant. Serbes, Macédoniens et Roumains sont dominés, les Balkans arrachés à la Chrétienté et le littoral méditerranéen soumis jusqu’à Alger. Insensibles à l’appel de Louis II, les Européens laissent la Hongrie sombrer à Mohacs en 1526. Refusant d’apporter son aide à la « guerre […]
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