VIDEO - Marc Trévidic : “On a affaire à des électrons libres du jihad...!”
Juge d'instruction au pôle antiterroriste durant dix ans, Marc Trévidic est un grand spécialiste des filières islamistes. Il se confie à Match à l'occasion de la sortie de son nouveau livre, «Le Roman du terrorisme», aux éditions Flammarion.
Par : Interview Grégory Peytavin / parismatch.com
Paris Match : Dans votre « Roman du terrorisme », vous distinguez l’idéologie islamiste du terrorisme que vous décrivez comme une méthode, pourquoi ?
Marc Trévidic. Le terrorisme n’est jamais qu’une méthode de violence politique qui a servi d’autres idéologies par le passé. Dans les récentes actions devant les anciens locaux de Charlie Hebdo ou à Conflans-Sainte-Honorine et également Nice, on assiste, malgré les tragédies personnelles, à des actions d’efficacité moindre. Ils auraient pu faire beaucoup mieux avec une méthode rationnelle mais sont qualifiés de terroristes. Ces gens-là agissent par haine. On est au cœur du sujet. Qu’est ce que le terrorisme ? Le 3 octobre 2019 un policier a tué 4 de ses collègues avec un couteau à la préfecture de police de Paris. Le procureur national anti terroriste s’est saisi de l’affaire. Peu de temps après, le 27 octobre 2019 un individu a tenté d’incendier la mosquée de Bayonne et tiré sur deux personnes (ndlr : une expertise a conclu à une altération partielle du discernement pour l’auteur qui voulait « venger la destruction de Notre-Dame de Paris »). Et la qualification terroriste n’a pas été retenue. Peut-être à tort. Le thème de mon livre est d’expliquer et de bien définir le terrorisme pour mieux lutter contre ses utilisateurs. Connaître les piliers actuels du terrorisme permet de combattre le mal, l’islam radical qui le propage et le finance comme au Mali où la pratique de l’Islam était traditionnellement modérée.
Est-ce un combat sans fin ?
Ceux qui utilisent le terrorisme revendiquent l’Islam radical pour justifier leurs actes de violence. Mais des pays comme l’Arabie saoudite revendiquent le même Islam radical et ils n’utilisent pas les mêmes moyens. Si vous enlevez le pétrole en Arabie saoudite, il restera quand même la Mecque et le wahhabisme. C’est pareil en Iran avec le chiisme. Le problème c’est la cohérence de notre politique. On s’allie contre le terrorisme avec des pays, notamment dans le Golfe, qui le propagent. C’est également la même chose avec la Turquie d’Erdogan. On savait très bien durant la guerre en Syrie que Erdogan laissait passer par ses frontières les nouvelles recrues européennes. Ça l’arrangeait qu’ils aillent combattre Bashar el-Hassad. On ne peut pas le tolérer ni traiter cela avec un prisme franco-français. La lutte contre l’Islam radical implique une approche internationale cohérente. De même, un groupe terroriste a besoin d’un ennemi. Doit-on donner seul le bâton pour se faire battre ? C’est le cas avec les caricatures de Mahomet ou le voile dans l’espace public. Il n’y a aucune union sacrée quand on entend les déclarations du Premier ministre canadien Justin Trudeau critiquant la republication de ces dessins. On a pourtant besoin d’un discours cohérent.
« Le terrorisme se nourrit de héros »
La judiciarisation des terroristes en France est elle efficace ? Ne risque-t-on pas d’en faire des héros lors de grands procès médiatiques comme celui de Charlie Hebdo ?
Le terrorisme se nourrit de héros. Il ne faut pas starifier des ennemis public numéro 1 avant même de les attraper. C’est un peu ce que l’occident et la France ont fait pour Ben Laden, Moktar Belmokhtar au Sahel, ou même de façon bien plus modeste avec le toulousain Fabien Clain. Tous trois sont décédés. Lors des procès, les islamistes sont plutôt désacralisés. D’ailleurs ils n’assument pas leurs actes. On a néanmoins besoin de mettre des visages sur les menaces au risque qu’ils deviennent des références idéologiques pour des jeunes jihadistes. C’est normal qu’on raconte dans les médias leurs parcours, mais attention aussi de ne pas donner trop d’importance aux actes. Il faut penser aux victimes aussi. On en fait souvent trop chaque fois qu’un écervelé sort un couteau comme récemment. Cela n’a rien de comparable avec des attaques organisées et d’envergure comme les attentats de novembre 2015.
"Il y a une taqiya 'démocratique' dans les pays occidentaux.
— Tancrède ن (@Tancrede_Crptrs) November 12, 2020
Les Frères musulmans propagent l'islam radical par la voie politique, associative et non-violente.
Cette propagation se fait en même temps que le djihadisme qui veut l'imposer par la violence." - Marc Trévidic pic.twitter.com/Vv0H8cUbiv
Vous pensez que des attentats d’une ampleur telle que ceux de novembre 2015 sont envisageables prochainement ?
Cela me semble difficile d’y être confronté à court terme. Pour pouvoir s’exporter ainsi un groupe terroriste a besoin d’être puissant. Ce qui inquiète c’est la radicalisation et le manque de maîtrise dans l’exécution de terroristes individuels. Je les appelle les électrons libres du jihad. Ils sont indétectables, totalement dans l’irrationnel et n’agissent que par haine. On assiste à un pourrissement et un délitement du terrorisme, qui devient pulsionnel et sans stratégie.
De nombreux gros bonnets du terrorisme qui sont passés dans votre bureau au parquet anti-terroriste sont sortis ou sur le point de sortir. Quels sont les profils les plus inquiétants ?
Les plus dangereux sont souvent décédés. Mais je garde en mémoire pour leur potentiel de fédérateur « au-dessus du lot » des individus comme Jamel Beghal, le mentor des tueurs de Charlie Hebdo expulsé en Algérie, ou Safé Bourada, le cerveau des attentats de 95 qui avait replongé en 2005 pour avoir recréé en prison un réseau de recrutement de filières irakiennes. Je pense également à Nabil Amdouni, ancien administrateur d’un forum jihadiste ou le Belge Farid Melouk, ancien du Groupe islamique armé, proche de Jamel Beghal (ndlr : il est apparu en Syrie au côté de Abdelhamid Abaaoud, le tueur du 13 novembre 2015). Ces individus-là ne vont pas se contenter de faire n’importe quoi armés d’un couteau. » […]
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